LA POLLUTION EN DEHORS DES RADARS
Les émissions liées au trafic aérien échappent aux règlementations internationales sur la lutte contre le changement climatique. Elles n’ont pas été intégrées au protocole de Kyoto (1997). Sous l’organisation des Nations unies dédiée à l’aviation civile, les pays ne sont jamais parvenus à un accord mondial pour réguler les émissions du secteur aérien. L’Union européenne a pris les devants en 2012. Mais confrontée à une levée de boucliers sans précédent, elle a dû renoncer à appliquer une partie de sa loi. Il est impossible de lutter contre le changement climatique sans s’attaquer à la pollution des avions.
Des pourparlers internationaux au ralenti
Quinze années de négociations sous les Nations unies n’ont pas permis de parvenir à un accord entre les pays pour contrôler les émissions de l’aviation. Les nations du monde ont exclu rapidement la possibilité d’une taxe ou d’un marché de permis d’émissions dans le secteur aérien.
Sous l’organisation qui édicte les normes du ciel au niveau international (l’Organisation de l’avion civile internationale – OACI), les pays et l’industrie se sont déjà fixés des objectifs volontaires (faibles) :
- stabiliser les émissions du secteur à leur niveau de 2020 même en cas de croissance de la production,
- parvenir à des gains d’efficacité énergétique des avions de 2% par an d’ici 2050.
Le problème, c’est qu’il est clair aujourd’hui que les mesures en place ou projetées ne permettront pas d’atteindre ces objectifs volontaires. Les projections révèlent un fossé de 153 à 387 millions de tonnes restant à combler, d’après une étude de l’université de Manchester Metropolitan. Ce fossé représente un tiers des émissions actuelles de l’aviation ! Les projections prennent déjà en compte toutes les mesures de réduction proposées par l’OACI et par l’industrie aéronautique, dont la prolongation du marché carbone européen aujourd’hui très mal en point. Il faut aller plus loin, avec de nouvelles mesures. Pour que l’industrie aérienne assume enfin ses responsabilités, il faut plafonner et mettre un prix sur les rejets des avions, via une taxe ou un marché de droits à polluer.
Les avionneurs viennent de comprendre cette réalité. Dans une déclaration du 3 juin 2013, la Fédération internationale des compagnies aériennes (IATA) demande aux gouvernements de mettre en place « à partir de 2020 », un mécanisme de marché au niveau mondial. Par « mécanisme de marché », les avionneurs entendent en réalité un système de compensation, à travers lequel ils achèteraient à d’autres secteurs leurs droits à polluer tout en continuant à émettre pour le transport aérien. Pour les ONG, cette proposition montre une certaine ouverture de l’industrie, mais elle demeure insuffisante. Sans réductions nettes des émissions de gaz à effet de serre à l’intérieur du secteur aérien, tout effort pour éviter un changement climatique catastrophique sera vain.
Les gouvernements de la planète doivent se saisir de ce signal envoyé par l’industrie et prendre les devants. Le monde a suffisamment attendu que l’aviation internationale limite enfin ses émissions et contribue à l’effort mondial. Or, fin septembre, l’OACI présentera lors de sa prochaine réunion plénière de nouvelles orientations pour limiter les émissions de gaz à effet de serre des avions. C’est l’occasion d’agir.
Une pause forcée dans la législation européenne
Au niveau européen, la guerre des quotas a bien eu lieu. En 2011 et 2012, Etats, avionneurs et compagnies aériennes se sont rebiffé contre les quotas de CO2 qui devait leur être imposé depuis le 1er janvier 2013. Ils ont gagné.
Les droits européens à polluer dans l’aviation
Depuis le 1er janvier 2012, les compagnies qui décollent où atterrissent sur le sol européen – et ce, quelle que soit leur nationalité – doivent acheter des droits à polluer correspondant à 15% de leurs émissions de CO2. Les 85% restants leur sont alloués à titre gratuit. Ces permis sont ensuite échangeables sur le marché européen du carbone. Les plus gros pollueurs peuvent acheter davantage de quotas (ou compenser leurs émissions en investissant dans des projets d’énergie propres dans les pays en développement), et les plus vertueux, en vendre. Les compagnies aériennes qui ne respectent pas la loi devront payer des amendes à hauteur de 100 euros par tonne de CO2 non couverte par les quotas et pourraient être interdites de vol dans l’UE.
Fin 2012, la commissaire européenne au Climat, Connie Hedegaard, a décidé de geler pour un an l’inclusion du secteur aérien dans le marché carbone européen, pour les vols extra-communautaires. En échange, elle attend des pays membres de l’OACI qu’ils étudient sérieusement les modalités d’un dispositif de réduction des émissions de CO2 du secteur. Si ce projet n’aboutit pas d’ici fin 2013, la Commissaire européenne assure que les avionneurs devront alors s’acquitter de la taxe prévue. Mais face au lobby puissant de l’industrie aéronautique et à la pression de certains pays (Chine, Inde, Etats-Unis), ce retour de la taxe européenne à tous les vols au départ et à l’arrivée d’Europe est de plus en plus compromis.